La curiosité.


On dit de la curiosité qu'elle est le moteur de la connaissance. Qu'elle est la force subtile qui permet de faire le pas - salutaire ou fatidique - sur les chemins les plus ardus. Qu'elle est le courage de la ruse. Qu'elle est miel et qu'elle est piège, parce que ceux qui écoutent ses injonctions sont tout autant susceptibles de s'élever que de brutalement chuter. La curiosité en avait sans doute poussé plus d'un sur la route du Bastion de l'Ombre, mais en ce qui concernait Murmure, ce n'était pas de la curiosité. C'était de la soif.

Pourtant, il ne payait pas de mine, ce jeune homme dressé face à la bâtisse hérissée de pièges. Tout enveloppé de gris, le visage levé, l'expression partagée - entre intérêt, méfiance et un certain calme posé, maîtrisé, caractéristique de sa personne. Bien des choses chez lui trahissaient la jeunesse et l'inexpérience, mais également cette soif - soif d'apprendre, certes, mais surtout soif de comprendre pour mieux maîtriser, pour mieux dominer. Et ce fut poussé par cette soif qu'il finit par avancer, lentement mais résolument, vers les premières défenses du Bastion.

Entre, disait la herse, et tu seras broyé. Entre, disait le pont-levis, et tu seras dévoré. Autant d'avertissements muets et pourtant palpables à même l'atmosphère figée, lourde, qui semblait régner sans partage sur les lieux. En vérité, la bâtisse toute entière paraissait n'être, au final, qu'un gigantesque monstre de pierre à moitié assoupi, les yeux mi-clos, guettant avec délectation le prochain intrus qui oserait la déranger. Peut-être qu'il aurait mieux fait de rebrousser chemin. Peut-être qu'il était encore temps de tourner les talons, et qu'il pourrait oublier la soif pour cette fois-ci - rien qu'une fois...

Non. A présent qu'il était entré, la fierté dictait de ne pas renoncer à sa venue. Murmure s'arrêta, bien en vue, immobile. Il ne doutait pas que sa présence ait été déjà remarquée et probablement épiée. Aussi, ce ne fut qu'à mi-voix - bien que l'écho ne se fasse pas prier pour se saisir du timbre de voix, calme et grave, afin de le faire rouler de mur en mur - qu'il s'annonça enfin.

- Murmure, de l'Air, demande audience. "

La première réaction fut un tressaillement, quoique léger, lorsque la voix de la chasseresse se fit entendre. Bien sûr qu'il n'avait rien vu venir, et - de toute évidence - il ne s'attendait pas à ce que la réponse vienne si vite, ni si proche, ni sous cette forme. Ses mains, longues et nerveuses, s'agitèrent brièvement comme par instinct, mais le geste de défense fut réprimé avant même d'aboutir. Bras le long des flancs, il ne se retourna pas.

- Que désire le Murmure qui souffle jusqu'à mes oreilles ?
- Tout. "

Un sourire, ténu.

- Tout. Qu'y a-t-il d'autre à désirer ?"

Culot, arrogance, inconscience. La voix demeura cependant douce, grave, presque feutrée. Après la surprise revenait le calme, bien qu'il soit conscient du danger et qu'il persiste à lui tourner le dos. Sentir l'autre présence effleurer la sienne sans pouvoir la saisir du regard, cela avait quelque chose d'exaltant.

- Je suis venu tirer le suc de l'Ombre, si elle veut bien me l'offrir. En échange, comme il se doit, je me mettrai à son service."