Je lève les yeux sur cet imposant vide alentour. Pas un bruissement; seul résonne le son régulier de mes pieds nus sur le pavé froid. Progressivement, les arbres ont disparu, comme pour m’indiquer le chemin; on ne peut se perdre lorsque l’on cherche la décadence.

Pas étonnant que Selene ai trouvé facilement le Chilandari…

Occupé que j’étais à imaginer le dépaysement que ca avait été pour la pauvre fille, je ne remarquai pas tomber le vent à l’approche du village. Et lorsqu’enfin je pose la main sur l’un des deux imposants piliers encadrant l’entrée, un air lourd et opprimant me rappelle que je suis en terrain hostile. Eolia a parfois de drôles de façons de se manifester.

Effleurant négligemment et du bout des doigts la vieille pierre, j’observe la cour apparemment déserte. Partout je cherche une branche ou me percher, mais nul arbre ici non plus. Ils ont décidément tout prévu. Un regard à droite, puis à gauche, encore un à droite tiens, et je m’accroupis comme je l’avais jadis appris pour filer comme une flèche à la fontaine, à laquelle je m’adosse.

En plein milieu. Ou on n’aurait pas besoin de me chercher pour me trouver. Quel idiot.

C'est dans le grenier d'une des plus haute bâtisse, qui fut sans doute une sorte de chapelle autrefois, que j'avais installé mes quartiers. On avait une vue imprenable... sur le sable et l'horizon! Le village aussi, déjà bien reconstruit, mais la rénovation prenait du temps. Au moins chaque bâtiment avait désormais un toit, des portes et des fenêtres. Seul le cadre exterieur restait encore un peu trop austère à mon goùt.
J'attendais avec une pointe d'impatience que les graines semées il y a peu se mettent à germer. Fimine devait faire son oeuvre.

Toute à mes reflexions, un grognement rauque de Lyncée m'avertis de la présence d'un intrus. Et quel intrus! Un sourire de satifsaction étira mes lèvres. Celui là serait pour moi! Le poussin jaune de l'arbre chez les Thuatha était sorti du nid... et s'aventurait dans la gueule de l'Ombre!
Arrivé aux grandes pierres et à leur sombre avertissement, le nécromant se prit à espérer trouver un arbre.

Manque de chance mon mignon, tu arrive un peu tôt pour ça!

Si le lieu manquait d'arbres, il foisonnait en lianes et grimpantes en tout genre. J'utilisais ces plantes pour passer d'une bâtisse à une autre et arriver en toute discrétion non loin de la fontaine où il avait trouvé un maigre refuge.

- Aosaru, fis-je dans un murmure tout en atterissant derrière lui, de l'autre coté de la fontaine.
Que nous vaut l'honneur de ta visite? Aurais-tu développé quelque instinct suicidaire dans le merveilleux monde des Thuatha? Ou ne t'as -t-on jamais appris qu'il ne faut pas s'aventurer à la Cour des Miracles?

Je le fixe de ce regard qu'à le chat pour sa proie. Impassible, j'attend la suite avec grand intérêt.

Qu’est ce qu’ils ont ces terreux à toujours arriver dans notre dos ? C’est pour l’effet peut-être… bon, c’est quand même plus classe comme entrée.

Je risque un coup d’œil par-dessus le rebord de la fontaine. C’est bien elle. Ma déception est-elle si apparente ? Elle semble se réjouir de cette nouvelle distraction mais son regard est froid et le peu de distance qu’elle m’impose exclue toute retraite. Il faudra bien que je lui réponde.

Résigné, je me lève et la salue brièvement en m’efforçant de garder les yeux sur l’étrange ouvrage de pierre au centre de la fontaine, que je contourne de quelques pas afin de n’offrir à la magicienne plus qu’une vue partielle de mon embarras. Ce n’est qu’alors que je me rends compte de la singularité de cet endroit, et levant les yeux de la statue, je les redirige sur les façades certes rénovées mais reflétant bien plus que ce qui est apparent.

..la cour des Miracles hein ?

Plutôt intrigué, j’oubliai ma gêne et me décidai à lui parler.

«Les gens du Chilandari ont le gout de l’excès mais ce n’est pas pour ça que je suis la. Et puis on m’a dit que je pouvais bien entrer ici… puisque même dans l’enceinte du village, je serai toujours dehors… logique…»

Toujours personne à l’horizon. Sortant une vieille pomme de mon sac :

«J’ai aussi un cadeau pour Atalante.»

Un regard en biais, il semble avoir déjà compris. Il devait pourtant s'y attendre, en venant jusqu'ici: l'échapatoire n'existe pas.
Il a des gestes lents et fais preuve d'une admirable maîtrise de soi. Un examen plus attentif, et je comprend qu'il n'y a pas une once de peur en lui, plutôt de la curiosité, mêlé à de l'ennui.
Il s'attendait peut-être à autre chose, ou à quelqu'un d'autre...

Qu'importe! L'essentiel c'est je m'amuse moi!
Il tarde à répondre et contourne légèrement le bassin pour garder ses distances. Mais le nécromant ne peut pourtant s'empêcher de regarder autour de lui. Peut-être sent-il la majesté de ces lieux, ou alors les regards d'autres Ombres posés sur lui..

Toujours est-il que cette comtemplation le décide enfin à me répondre:

«Les gens du Chilandari ont le gout de l’excès mais ce n’est pas pour ça que je suis la. Et puis on m’a dit que je pouvais bien entrer ici… puisque même dans l’enceinte du village, je serai toujours dehors… logique…»

Il ne répond pas directement, et n'annonce toujours pas le but de sa visite. Cherche-t-il à gagner du temps?

- Peut-être devrais-tu éviter de trop prêter l'oreille aux racontars! Ou écouter un peu plus ceux qui circulent en ville! Et puis, le dehors est souvent tout aussi dangereux que le dedans..

Tout en parlant, j'avais contournée la fontaine sans toutefois trop me rapprocher de lui. Je m'arrêtais en face, et plus aucun obstacle ne se dressait entre nous.
C'est alors qu'un grognement de Lyncée retentit juste derrière le nécromant, comme pour etayer mon argumentation. Le lynx s'était avancé silencieusement jusqu'à nous.

Toujours un regard aux alentours, puis il sort une pomme de son sac. Etrange!

«J’ai aussi un cadeau pour Atalante.»

Nous y voilà! le but de sa visite. Mais voilà qui n'arrange pas mes affaires. S'il était attendu par Ata, il vaudrait mieux laisser le jouet dans un état correct.
Tans pis, je laisserais la magicienne ignis décider de son sort.. Et puis, ce nécromant n'avait pas fini de m'amuser malgré tout.

D'un doigt pointé dans la direction d'un grand bâtiment légèrement sur la gauche du nécromant, je lui indiquait le chemin

- Tu devrais trouver Atalante par là-bas. Espérons que ton cadeau lui plaise, fis-je avec un sourire légèrement ironique. Bonne chance!
Je m'asseyais sur le rebord de la fontaine, adossée contre le centre pour profiter pleinement du spectacle.

Je regarde tour à tour le doigt puis la direction qu’il pointe. Elle s’était dangereusement rapprochée mais l’excuse de la pomme semblait avoir changé ses intentions. Je sais pourtant que l’avantage que j’ai repris ne durera pas plus de quelques secondes si je me présente ainsi devant Atalante. Je me surprends même à regretter n’être pas sorti sans une plus jolie pomme. Tout en la frottant d’un geste machinal à mon pagne afin de lui donner un air plus présentable, je prends le parti de continuer la conversation jusqu’à… bah jusqu’à trouver quoi faire.

Les rumeurs de la ville m’ont lassé. Et s’ils avaient un quelconque fondement, je trouverai ici plusieurs cadavres de vos propres gens…

Je me tais pour observer son visage. Peut-être que je vais trop loin, mais le danger initial semble déjà bien passé ; si j’excepte ce lynx dans mon dos qui m’a clairement signifié sa présence. Je me tourne une fois de plus vers la bâtisse qui m’a été indiquée.

Est-ce la taverne ? Sans attendre de réponse, je l’encourage à se lever en comptant sur sa surprise pour me sortir de cette impasse. Mène-moi à la taverne. On m’en a fait un tel portrait. Et puis j’ai soif.

Déjà j’avance d’un pas ou deux.

Alors ?

Je l’ai mis au pied du mur en le laissant trouver seul son chemin. Visiblement, il ne s’y attendait pas et hésite. Il nettoie sa pomme dans un geste désespéré et tente maladroitement de continuer la conversation. Cette fois, plus de doute ! Il est piégé comme un rat et cherche à gagner du temps ! Se peut-il que l’offrande à Atalante ne soit qu’un prétexte ?

Les rumeurs de la ville m’ont lassé. Et s’ils avaient un quelconque fondement, je trouverai ici plusieurs cadavres de vos propres gens…

Tu ne sais pas encore ce que tu trouveras ici, ne soit pas si sûr de toi, qui sait ?…

Pourtant, il a trop confiance en lui et baisse sa garde. Il en oublie même à qui il parle. Fatale erreur. L’avertissement de Lyncée ne lui a sans doute pas suffit !

Mène-moi à la taverne. On m’en a fait un tel portrait. Et puis j’ai soif.

Mais pour qui il se prend celui-là ? Je vais lui montrer qu’on ne donne pas d’ordre à une Ombre impunément.

A mon tour de le faire attendre, lui qui croie me berner. Je prend mon temps et me relève lentement, feignant l’indécision face à ses paroles. Au moment où il baisse la garde pour continuer plus loin, je prend mon élan sur le rebord de la fontaine et atterrit en deux trois bonds près de lui.

A peine a-t-il le temps de comprendre ce qu’il se passe que l’incantation sort de mes lèvres et qu’un faisceau de pureté irradie le nécromant et le plonge dans une douce léthargie. Puis une bonne dose de poudre aveuglante achève de le rendre à ma merci.

- Avise-toi de me parler encore une fois de la sorte, et c’est bien plus que la vue que tu perdras !

J’ai retenu ma colère, j’aurai pu faire plus de dégâts, mais si cet insolent avait vraiment une affaire à régler avec une autre Ombre, je ne voulais pas friser un incident diplomatique…
Et puis, tout compte fait, je préférais m’amuser ainsi avec lui que l’abîmer.

Sans un mot, je le pousse vers l’avant. Je le fais entrer dans une petite bâtisse sombre où se trouve une étagère et quelques fioles. La poudre fais encore son œuvre tandis que je prépare une petite boisson de mon invention. Rien de bien méchant, mais s’il lui prend l’envie de boire... disons qu’elle a quelque propriété purgative !

Je tend un gobelet rempli à l’Aéris qui retrouve progressivement la vue :

- Alors comme ça tu as soif ? Bois donc un peu pour te redonner du courage ! Et qu’il ne soit pas dit que nous laissons nos hôtes mourir de soif, ajoutais-je avant d’éclater d’un rire bref.

Puis, pour reprendre ironiquement sa réplique comme il restait immobile :
- Alors ?

Je le ramène dehors puis lui réindique le bâtiment de tout à l’heure :

- A toi l’honneur ! Je ne sais si Atalante est dans ses quartiers mais si jamais c’était le cas et puisque tu l'a demandée, c’est bien comme ça et avec cette simple pomme comme présent qu’elle te jugera et te donnera le droit de siéger à notre taverne si réputée, en tant qu’invité… ou en tant qu’autre chose !

Je regarde lentement et tour à tour l’ensemble des bâtiments surplombant la place centrale.

- A moins qu’elle ne soit déjà là à t’attendre quelque part ! Et maintenant, avance!

Il n’y avait plus d’échappatoire possible. La Cour des Miracles s’ouvrait à lui pour lui révéler son destin.

Sont vraiment pas drôles ces paysans…

Je me laisse mener à coups de poussettes dans le dos par la capricieuse jusqu’à un proche bâtiment ou je manque de trébucher en passant la porte. Les mains toujours portées à mes yeux, je tente de faire cesser le picotement sans trop me soucier du remue-ménage, trop heureux qu’elle se soit désintéressée de moi.

L’activité semble s’être calmée à coté. Elle approche. Et alors que je retrouve l’usage de mes yeux, je la vois m’agiter un récipient sous le nez. Quoique méfiant, je prends le gobelet quelle me force dans les mains et la suis à l’extérieur.

- …et avec cette simple pomme comme prés-…

Mince, ma pomme.

Je la repère à quelques pas, là ou elle était tombée suite à une bousculade de mon bourrin tortionnaire. Laissant tomber le gobelet, je m’empresse d’aller récupérer mon bien sans trop écouter. Je comprends néanmoins que je ne m’en tirerai pas si facilement et, croquant dans la pomme, j’avance d’un pas résolu vers le bâtiment indiqué.

Pas mal… Ata l’aurait bien aimé.

Sans frapper, je pousse la porte déjà entrouverte et y découvre un nouveau décor.