Le soleil dardait sa lumière crue sur les silhouettes rabougries et desséchées des maigres arbres ayant survécu dans ces landes stériles. Pâmoison muette de l'or poussiéreux drappant les crocs éraflés. Seul le bruit du vent parcourait encore les sentes. Pas un cri d'oiseau, pas une clameur. Du moins jusqu'à ce qu'un tintement tirât le nécromant de sa rêveuse observation. Spectacle solitaire incomparable. Délassant. Ressourçant.
Le petit Elrindil rentrait donc. Dans un bruit de casseroles, comme toujours. Ah ces guerriers, désabusés devant la moindre remarque sur la qualité de discrétion... Et vu comme il avait la bougeotte, il disséminait son boucan aux quatre coins des terres incivilisées. Un sourire appréciateur naquit sur les traits d'Eleidon alors que le combattant regagnait l'intérieur rassénérant de la forteresse ombreuse. En voilà un qui mettait du sien aux projets de l'Ombre, celle qui garde sa cohésion et s'étend sur tout et tous.
Malgré tout, le guerrier faisait preuve parfois d'une certaine négligeance. Attaques suicidaires, tentatives dérisoires... mais aussi se laisser suivre jusqu'ici sans s'en rendre compte. Un petit malin aux allures de pisteur. Le sourire d'Eleidon devint carnassier. Le petit inconscient s'était arrêté, impressionné devant le manoir. Sans doute ne savait-il pas ce sur quoi il allait tomber. Ce
dans quoi il allait tomber.
Appuyé contre son tronc mort préféré, nommé Doigts-de-mort en hommage à ses branches rappelant des serrres doigtesques, l'Ombre prit son temps pour descendre. De son point de vue élevé il gardait une vue imprenable sur les environs. Les robes de son manteau et de sa cape voletèrent en silence à mesure que les pas surnaturellement lents amenèrent le nécromant sur la piste poussiéreuse. Apanage de sa nature aérienne : maîtrise de ses gestes mais surtout des sons. Quelques pas et il se trouva juste derrière l'intrus.
Bien droit, il se demandait à quelle sauce le manger. Ecraser des moucherons du coin du pied n'entrait pas dans le raffinement d'Eleidon. Il n'en tirait aucun plaisir, et le réservait en châtiment pour ceux qui ne comprenaient pas qu'il représentait un danger mortel et continuaient à battifoler comme si de rien n'était.
Finalement, il opta avec un certain sens théâtral pour une entrée en matière rafraîchissante. Il s'approcha encore d'un pas, juste derrière l'archer.
"Belle vue n'est-ce pas ?"Ses yeux de prédateur luisaient sous sa capuche bouffante. Rien dans sa posture n'indiquait qu'il était prêt à frapper, pourtant le nécromant possédait une musculature plus développée que la plupart de ceux de son métier. Le secret de sa nouvelle nature était encore préservée, mais il était malgré tout bien loin du nécromancien famélique dont l'imaginaire populaire avait farci les têtes de son image.