Voilà des mois que je traînais dans ma maison. Enfin de maison, ce n’en était pas vraiment une : un grand tonneau de deux mètres de diamètre, et de guère plus de profondeur, déposé là au milieu d’un champ. J’y avais élu domicile, non sans me battre régulièrement avec un sâle cabot qui avait eu la même idée que moi.

Après un bref passage à l’apprentissage de la nécromancie, j’avais squatté ici de longues semaines, épuisé par ces quelques leçons. Armé de litres de bière et de quelques mets périmé, j’ai bu jusqu’à plus soif. Je ne ressemblais vraiment plus à rien. Mes vêtements étaient en lambeau, mes cheveux gras atteignaient presque mes épaules et mon haleine aurait même fait fuir un sanglier.

J’avais usé de mes derniers deniers lors de mon précédent réapprovisionnement en ville. Du mauvais vin, voici tout ce que j’avais pu acheter. D’ailleurs, le bois de mon tonneau sentait encore les relents de celui-ci. Peu importe, l’ivresse faisait tout oublier la faim, le froid, les odeurs, la sâleté.

Quelle folie d’avoir voulu être un combattant pour faire régner un ordre quelconque sur ces terres ? Cela n’en valait pas la peine quand quelques verres et aucune attache offraient toute la liberté souhaitable.

Comme je l’avais calculé avec précision, le soleil se leva et éclaira droit sur l’orifice de ma demeure. Je me réveillai au milieu de ma crasse. Personne aux alentours, encore une paisible journée. D’un geste machinale je plongeai ma main au fond de mon humble demeure pour y attraper une bouteille.

Malheur ! Plus de réserve. J’eus beau fouillé tous les cadavres environnants, pas une goutte ne subsistait.

Misère ! Qu’allais-je devenir ? Je rassemblais mes pensées. Je n’avais pas une tune en poche, plus le moindre équipement à revendre, rien. Mes maigres talents de combat ne me permettraient même pas d’abattre quelques cactus pour en revendre les restes. Non, il fallait faire preuve d’imagination.

Allons, je valais mieux que ça. Un homme tel que moi méritait mieux. Je me devais de trouver un but.

Puisant au fond de ma mémoire fragile, je me souvins d’une légende dont on m’avait parlé. Un groupuscule d’aventuriers vivait non loin d’ici vouant un culte à un certain Kilinaë. Des durs à cuir, paraissait-il. Egoïste, mesquin, et provocateur. Bref tout ce qu’il me fallait pour une nouvelle vie. Là-bas je connaîtrais peut-être la gloire et les honneurs dus à ma sagacité légendaire.

On y parlait aussi d’une générale aux charmes supérieurs à ceux d’une bouteille de bon vin ce qui n’est pas rien, de trésors enfouis dans leurs caves, de richesse inespérés et de gloire quand ce fameux Kilinaë serait de retour.

D’un même geste, je rassemblais mes quelques affaires et dit adieu à mon fidèle tonneau. Il ne fallut guère plus d’une minute pour que ce satané cabot reprenne possession des lieux en urinant le long du bois.

Un homme normal aurait certainement mis moins d’une heure pour parvenir au manoir de l’Ombre. Il m’en fallut pratiquement trois, ce dont je n’étais pas peu fier. J’avais dû accélérer la fin de parcours après avoir chapardé une bouteille de gnôle à un paysan que je pensais assoupi.

Faisant face à ce gigantesque manoir, je ne savais trop comment m’y prendre. Déjà y accéder avait été complexe, compte tenu de l'étroitesse du chantier. A croire que ces gens n'aimaient pas les visites. Et encore avant d'accéder au manoir proprement dit, il fallait trouver la porte.
En fouillant un peu je découvris une poterne, construite à même les remparts. Mon oeil expert et avisé ne détecta aucune sorte de pièges. Le plus simple me sembla de toquer à la porte, ce que je m’empressai de faire.

« Bien le bonjour par ici. Je suis Esrah, nécromancien en perdition et je souhaite rejoindre les Ombres. »

Il me fallait un peu plus d’appoint. Quels étaient leurs buts déjà ?

« En l’honneur de Kilinaë le grand, l’éternel, notre maître à tous, j’apporte ceci. »

Absorbé par ma fierté suite à cette phrase rocambolesque, je mis quelques secondes à me rendre compte que je n’avais rien à apporter.
Prenant sur moi, à contre cœur, je levai ma bouteille de gnôle.