L'homme venait de passer la poterne qui menait au repère de l'Ombre de Kilinaë. Il avait marché
longtemps, sa hache aux lames couvertes de sang séché sur l'épaule. Les paysans n'avaient pas été très
loquaces quant à l'emplacement de la place forte, fort heureusement, voir leurs fermes miteuses brûler
avec femmes et enfants à l'intérieur leur a délié la langue, indiquant vaguement une direction. Cela ne
les a pas sauvés, bien sûr, mais une mort rapide est préférable à la lente souffrance de la faim qui
vous dévore les tripes.

Il avait suivit les indications des fermiers (lesquels l'avaient suivis d'ailleurs, démembrés dans un sac de
voyage), il était certain qu'ils n'avaient pas menti, la terreur était parfaitement visible dans leurs
yeux pitoyables (restés dans sa poche). Par ailleurs, le paysage l'annonçait.
L'endroit n'était pas accueillant, et il observait de ses yeux renfoncés dans ses orbites les parois
noires et déchiquetées du défilé. Ca puait littéralement le piège, sans même compter l'odeur du cadavre.
Il avança jusqu'au pont levis, s'arrêta, puis, posant sa hache, envoya le sac droit vers la herse, qu'il
heurta violement. Rien ne se passe, ni pieux acérés sortant du sol pour empaler l'intrus, ni glyphe
magique embrasant le cadavre dans les flammes de l'Enfer. Ni même quelqu'un pour répondre. L'air
satisfait, il s'avança, puis se mis à tambouriner sur les épaisses grilles de la herse.

'Parait qu'ici, y a une bande de p'tits rigolos qui veulent devenir les maîtres du monde?

Cessant son vacarme, il reprit la vieille carcasse, s'éloigna quelque peu, et abattit un arbre mort de
sa hache. Sortant un briquet à amadou d'une poche, il y mis le feu, et jeta sans ménagement les morceaux
sanguinolents du pauvre fermier. Il s'assit ensuite, en se demandant s'il aurait le temps de goûter un
peu avant qu'on lui ouvre.

Un vacarme épouvantable. Et la troisième chose que je déteste le plus au monde, après la race humaine, et abimer mes jouets, c'est justement le bruit. Exception faite des cris de douleur que j'aime provoquer chez certains sujets.
Sans compter l'odeur nauséabonde de chair brûlée s'insinuant par ma fenêtre...

Je jette donc ma cape sur mes épaules et me dirige vers l'entrée, le visage impassible, Yzrael sur mon épaule.

De loin, j'observe l'étranger. Un mâle...l'air barbare. Voyons au moins s'il sait s'exprimer correctement :

- Qui êtes-vous pour oser maltraiter le silence de la sorte ?

Au loin un vacarme épouvantable. Puis une odeur de chair grillée, bientôt la voix de Nospheria s'élève toujours aussi douce aux oreilles. Tiraillée entre mon désir de poursuivre mes expérimentations et celui de partir aux nouvelles, je lâche un juron et prenant mon arbalète, part rejoindre No's. Une vague silhouette masque en grande partie l'entrée, vaguement familière. Intriguée j'approche encore grimaçant sous l'odeur. Heureusement que la charogne masque la plupart des effluves ...

Hé toi là ! Oui toi la grande chose ! On ne ce serait pas déjà croisés auparavant ? Tu me semble vaguement familier ...

Je pose ma main sur le bras de No's en un geste apaisant.

Shub se releva, laissant l'os dont il suçait la moëlle à terre, et leva les yeux vers la fenêtre dont venait les voix. Se tenaient là deux femmes, l'une l'air sombre, un reptile dodu sur son épaule, et l'autre pointant une arbalète sur lui. Par réflexe, il banda ses muscles et sa main empoigna sa hache.

- Qui êtes-vous pour oser maltraiter le silence de la sorte ?

Sa voix et son regard était méprisants, sans nul doute, elle faisait partie de la caste des magiciens, cette engeance incroyablement imbue d'elle même. En règle générale, il se serait arrangé pour que ses yeux vairons quittent au plus vite ses orbites, mais il ferait une exception aujourd'hui.


- Hé toi là ! Oui toi la grande chose ! On ne ce serait pas déjà croisés auparavant ? Tu me sembles vaguement familier ...

Vaguement familier ! Il failli éclater de rire, il ne se considérais pas comme quelqu'un qu'on oubliait facilement. Mais c'était vrai, il la reconnaissait également. Il l'avait régulièrement rencontrée au plus profond des forêts de Terra, près de son domaine, où elle récoltait des plantes. Quelque chose chez elle l'avait poussé à ne pas la pendre aux ramifications touffues des plus anciens arbres, le sort qu'il réservait aux intrus, peut être le fait qu'elle n'était pas effrayée par un mastodonte armé qui la dominait de quelques têtes... Mais cela faisait des mois qu'il ne l'avait plus vue.


- Je me souviens de toi, petite fille. Te revoir me rappelle d'agréables souvenirs. Mais ce n'est pas pour cela que je suis ici.

Il se tourne vers l'autre

- Les jactances des commères n'ont pas de frontières. J'ai une grande fascination pour les objets de pouvoir. Or il se trouve que récemment, deux donzelles de la ville se sont égaillées par mes bois. Elles n'auraient pas dû... Hurk, hurk... Fit il en se curant les dents d'un ongle sale. En écoutant leurs babillages incessants, j'ai entendu quelques bribes à propos d'un ordre occulte à la recherche d'un oeuf de phénix. Elles ont, sans le savoir, sauvé leur vie.
Je me suis précipité dans l'instant vers la bibliothèque la plus proche où j'ai... "Emprunter" quelques livres sur le sujet. La lecture fut très instructives, et me voici, avec une proposition : comme vous, je veux cet oeuf, le prix importe peu, les morts non plus, mais seul, cela ne fera que retarder mes objectifs. Je vous propose donc mon aide, en échange d'une part du pouvoir que vous acquérrez.

La douce chaleur d'Eliyane tout près de moi, le parfum de sa peau me distraient quelques instants de l'homme installé non loin.
Je les écoute, impassible, même en apprenant que le barbare sait lire.
Alors il s'intéresse à l'œuf...toujours cet œuf, décidément. Tiens, c'est à moi qu'il s'est adressé...quelle drôle d'idée...

- C'est bien joli tout ça, mais ça ne répond pas vraiment à ma question... mais votre nom m'est bien égal en fait.
Qu'est-ce qui nous prouve que votre aide sera à la hauteur de ce "pouvoir" que vous désirez ?

Un moment de silence puis...

- Remarquez, si vous n'êtes pas satisfaisant, nous saurons quoi faire de vous...

Regard entendu en direction d'Eliyane, et sourire en coin.

- Venez par ici...

D'un geste, j'ouvre la porte et l'invite à entrer.

- Eliyane va vous proposer quelque chose à boire pendant que je vais prévenir les autres...

Le rire malsain qui suit ma phrase lui donne sans doute l'impression d'avoir à faire avec une détraquée. Quelle importance ? Je m'éloigne déjà...

Une fois dans la cour, ça avait été rapide. L'archère avait dévalée une série de marches quatre a quatre, des flammes dans le regard, s'était planté devant lui (à cet instant, on sentait presque la chaleur qui s'en émanait, cela le fit sourire), puis, avant même qu'il ait pu esquisser un geste, elle se précipita vers une pièce adjacente, en laissant la porte grande ouverte.
Il la suivi, puis s'amusa de son air dépité alors qu'elle examinait un récipient en verre rempli d'une mélasse oscillant entre le rouge sombre et le violet, et sentant fort le caramel et l'alcool...
La cuisine avait l'air bien tenue, la table aurait pu aussi bien n'avoir jamais servi, et aucun rat ne cherchait de vieux restes, ce n'était pas pour autant chaleureux, les torches aux murs éclairaient d’une lumière froide la grande salle vide. Il tira vers lui une chaise et posa nonchalamment, comme à son habitude, ses bottes crottées sur la table.

Allons, petite fille, qu'a tu à boire ? Je suis l'invité ici.

A ces mots, il éclatât d'un rire sonore.