Elle avance à pas comptés sur la pente escarpée, prenant garde à chacun de ses pas à ne pas trébucher sur un gravas tapis dans la pénombre. Il n’y a que la lune pour lui servir de guide dans ce tourbillon d’éléments honnis, la lune et cette lueur en haut du sentier.

Elle aurait pu rester en contrebas, déjà de jour l’ascension lui avait paru trop contraignante pour y tenter un pied. Mais la pluie avait commencé à tomber, cette eau traîtresse tombée des cieux qui s’insinue sournoisement entre les plaques et le cuir supposés protecteurs de son armure, détrempant et glaçant jusqu’à ses os et son âme. Elle n’aime pas la pluie, elle l’exècre même, alors, avec la nuit tombante, l’idée de passer les heures sombres ailleurs que devant les flammes dansantes et chaleureuses d’un âtre lui avait paru plus détestable qu’entreprendre cette marche. Alors elle avait réajusté sa cape sombre et sa sacoche, jeté un regard de défi à la pente et commencé sa montée.
Et la pluie avait cédé la place au vent. Un vent perfide, qui avait chassé les nuages pour lui offrir la clarté de la lune, mais s’engouffrait en hurlant entre les pants de ses vêtements, la glaçant un peu plus si tant était que cela soit possible, la cinglant à chacun de ses passages, s’alliant à la terre et aux roches pour tenter de la précipiter en contrebas.
Mais elle tint bon, lentement, patiemment elle avança, rongeant son frein et se concentrant sur sa seule marche. Elle ne tournerait pas les talons.

A présent, elle se tient devant la poterne. Elle observe l’imposant édifice, laissant courir lentement son regard sur cette architecture si… particulière. Sous les rayons blafards de la lune, et avec le mugissement lugubre du vent qui s’engouffre entre les interstices, le bastion possède cette atmosphère sombre et terrifiante qui devrait inciter l’importun à rebrousser chemin. Mais pas elle, non… elle ne partira pas, elle ne tremblera pas devant un assemblage de.. cailloux.
Elle passe ses mains dans son dos pour s’assurer que ses lames jumelles se tiennent toujours gentiment à leur place, esquisse un sourire moqueur aux cranes qui encadrent la porte et s’avance vers l’intérieur.

Les hurlements du vent s’atténuent peu à peu, à mesure qu’elle s’enfonce dans la salle, et bientôt ne résonnent plus que les bruits de ses pas qui se perdent et dansent sur les murs. L’intérieur est sombre, plus sombre et angoissant que ne lui avait laissé présager l’extérieur, trop sombre à son goût. Et aucune des torches faiblardes qui s’égarent dans les différents couloirs ne lui semblent réellement engageantes. Elle avise celui qui lui semble le moins désagréable, frôle de nouveau ses compagnes d’acier et s’engage droit devant.

Pas un bruit, pas un chat. Quel animal semblerait assez fou pour rester ici ? A part un dragon, peut être… Elle sourit légèrement à cette idée.
Pas un bruit, juste le vent qui mugit à l’extérieur, le bruit de ses pas qui résonnent, et cette oppressante impression de regards tapis dans les ombres.

« - Nous avons eu raison de faire ça ma chère, sans ça tout n’aurait pas été parfait. Et puis il devait mourir. Bien sûr que je suis satisfaite, pas toi ? Huhuhu, bien entendu nous remettrons ça. Cette semaine ? Mais cela ne va-t-il pas rendre les autres soupçonneux ? Mais non je n’ai pas peur… D’accord… Alors disons dans 10jours ?... »

La Noireaude, assise par terre, adossé au froid mur de pierre du manoir des Ombres, caressait avec frénésie la dépouille d’un rat qu’elle avait attrapé dans les catacombes de la demeure. Elle discutait avec celle qu’elle appelait « son amie », celle qui était invisible aux yeux de tous, qui n’apparaissait qu’à l’esprit malade de la guerrière. Sa voix n’était qu’un murmure. Bientôt elle se tut pour écouter les bruits venant de l’extérieur. Le vent mugissait dehors, sale temps. Un temps à réveiller les morts… La météo était idéale pour aller rôder dehors sans croiser de gêneur…. Les yeux de l’Ombre fixaient le mur qui lui faisait face. Dans ces moments là elle pouvait rester des heures sans bouger jusqu’à ce que son esprit réintègre son corps et qu’à nouveau elle reparte dans des discussions endiablées avec son « amie ». Mais sa léthargie n’allait pas pouvoir durer longtemps. Quelqu’un s’avançait dans la pièce. La démarche sûre sans l’être trop. Dans un murmure la Noireaude se parla à elle-même…

« - Dans 10jours nous disions ?... Non ma chère, dès aujourd’hui… Viens… »

Elle se leva lentement et avança à pas de loup vers l’ombre qui marchait avec impudence dans l’antre des Ombres. Pas la peine de l’attraper par surprise. Le plus amusant était de voir ses victimes prendre conscience de la faiblesse de leur condition. La Noireaude jubilait, ce soir la crypte allait encore être animé. Un temps à réveiller les morts… un temps à attirer les vivants pour que leurs cris réveillent les morts…
La guerrière se trouvait à quelques mètres de l’intrus, l’avait-il déjà repéré ? Qu’importe…

« - Puis-je vous aider ? Huhuhu… »

Elle a entendu des murmures, une voix cachée parmi les ombres aux échos rebondissant sur les murs , encore et encore. Impossible d'en déterminer l'origine. Ça l'agace, ça l'agace terriblement. Elle n'aime pas l'idée de savoir quelqu'un tapis hors de sa vue... ce sentiment agaçant de vulnérabilité.
Sagesse et patience feront peut être un jour partie de ses qualités… peut être. Ca ne serait pas un mal.

Elle est si tendue que lorsque la voix s’élève dans son dos, elle ne peut empêcher son cœur de faire un bond dans sa poitrine et fait brusquement volte face.
La main gauche légèrement tendue en avant, elle se tient prête à bondir, la main droite dans son dos tenant fermement la garde de son arme. Elle n’a pas encore dégainé.
Elle laisse le temps à son cœur et à sa respiration de retrouver un rythme normal, et observe cette inconnue. Rien qui puisse la rassurer… elle aurait préféré voir cette forteresse déserte, finalement.

Elle entend les dernières bribes d’écho qui se perdent dans les couloirs, et se souvient de la "question".
Elle ne se détend pas pour autant, mais un sourire narquois se dessine sur ses lèvres.

« M’aider ? Je ne crois pas non… En avez vous seulement l’intention ? »

« Dégaine seulement pour voir… »

Une autre voix tapis dans l’ombre. Un carreau pointé vers l’intruse.
La voix s’avance, elle se rapproche de la jeune femme, laissant son visage s’éclaircir légèrement par la faible lueur des torches. Il s’agit d’une des rôdeuses qui habitent ces murs. Pas celle qui aime la terre au point de s'y traîner dedans, l'autre.
Le carreau brille. Elle le baisse. Elle sait qu’il ne lui sera pas nécessaire de l’utiliser.

« Tu t’es perdue peut être ?
Toute personne censée n’aurait jamais posé un pied dans notre demeure… C’est que quelque chose ou bien quelqu’un t’y a poussé. Je me trompe ? Dois-je t’annoncer ? »

Quelque chose l’attire chez cette femme… Ce n’est pas son physique ni ses formes mais plutôt cette impression qu’elles avaient toutes les deux ainsi que La Noireaude quelque chose en commun. Elle ne mit que peu de temps avant de comprendre qu’il s’agissait simplement d’une histoire d’élément. Une disciple de Vulfume.
Moment d’apaisement mais elle ne relâche pas sa garde pour autant. Maintenant elle n’avait plus qu’à attendre les réponses à ses questions pour passer à la suite…

Encore une… ça commence à faire beaucoup pour une demeure qu’elle espérait déserte, ou du moins endormie. Deux de trop.

Elle observe la rôdeuse, la pointe de son arme surtout. Lorsqu’elle l’abaisse, la guerrière hésite entre léger soulagement et agacement. Est-elle donc si peu digne d’inquiétude qu’on la laisse si rapidement aller armée ? Orgueil… et ça n’est pas le moindre de ses si nombreux défauts.
Elle ravale tout de même sa fierté. Le carreau est toujours là, et… l’autre, aussi. Elle lance un regard à la première femme, et revient sur la rôdeuse. Non, elle ne dégainera pas… fière, mais pas encore stupide. Et elle n’a pas vraiment d’autre choix que de répondre, pour l’instant du moins.

« Non… »

Un peu trop succinct peut être… Elle hausse les épaules.

« Je ne me suis pas perdue… Ce sont le temps et la curiosité qui m’ont menée ici.
Ou la folie et un brin de stupidité, appelez ça comme vous voulez … »

Qu'importe...
Elle sent un filet d’eau ruisseler entre ses omoplates, sous sa cape dégoulinante… et elle a froid. C’est bientôt fini ?

Rien de tout ce qu’elle pensait. De la simple curiosité. Défaut ou qualité, Ara était pareille à ce niveau là.
Bon bon, que faire de la jeune femme, elle ne le sait pas. D’autant plus qu’elle lui donne l’impression de ne pas savoir ce qu’elle veut… elle aussi.

« On ne t’a jamais appris à frapper avant d’entrer chez quelqu’un ? »

Un peu froid comme ton… sans doute l’habitude.

« Tu pourrais te présenter au moins. On ne vous apprend plus les bonnes manières sur Ignis ? »

La rôdeuse se tourne vers sa partenaire… Celle qui chasse les rats. Elle n’a rien dit depuis qu’elle est arrivée. Surement trop occupée. Elle ne lui rend même pas son regard. Tant pis. Elle ne se préoccupera pas de son cas si celle-ci préfère sa solitude.

Attendre, encore et toujours. Ce n’est que perte de temps. Juste l’espoir que cette visite imprévue et cette attention accordée en valent la peine.
Des pièces d’or, voilà ce qui pourrait lui faire plaisir et la récompenser de son attente.

Elle lève un sourcil. Elle n'aime pas le ton, elle n'aime pas les reproches et sous entendus dans la voix... les ordres.
Elle penche légèrement la tête sur le côté, regarde la rôdeuse droit dans les yeux et laisse un sourire insolent se dessiner sur ses lèvres.

"Je n'ai rien contre le fait de frapper en arrivant... mais ça pourrait faire désordre, non? Et parmis les quelques rares bonnes manières que l'on a réussi à m'inculquer, on m'a dit qu'abimer son hôte est terriblement impoli.

... du moins tant qu'il n'a rien dit ou fait de déplaisant."

Elle sourit de nouveau, les yeux plus pétillants d'insolence que jamais, attrape un pan de sa cape et exécute un simulacre de révérence à la rôdeuse.

"Ilbyria, guerrière d'Ignis, en effet. Pour vous servir Madame... ou pas."

« C’était de la prévention… Mamzelle Ilbyria »

Elle écarquille les yeux, n’en revenant toujours pas du culot dont la guerrière faisait preuve. De nature susceptible, elle aurait pu se vexer mais nan… Elle sourit et rentre dans son jeu.

« Déjà, je ne suis pas ton hôte… Je ne pense pas t’avoir invitée ici, ni moi ni l’espèce de chose inerte qui gît à côté. »

Tout en désignant La Noireaude du regard.

« Ensuite, si jamais l’envie te prend de vouloir m’abîmer, surtout ne te gêne pas. Je me laisserai même faire… Par contre, je doute que Vulfume apprécie que tu portes la main sur l’un des siens. »

Petit sourire emplie de malice.

Quand à sa révérence… Elle la trouve digne d’une catin… ratée. Provocation ou pas, elle retient un rire moqueur et reprend son sérieux.

« Enfin… Ara, rôdeuse d’Ignis.
Quelle insolence tout de même… mais j’aime assez. »

Son estomac commence à crier famine. Elle avait prévu d’aller grignoter mais cette petite visite imprévue l’avait écarté du chemin de la cuisine.
Elle raccroche son arbalète à la ceinture et prend à nouveau la parole.

« Si tu as faim, je te laisse me suivre… Sinon tu peux visiter le manoir si tu le souhaites mais… hum, tu risque de faire des rencontres étranges. »

Elle jette un œil à la "chose inerte" et tente de cacher un léger sourire.
L'autre ne marche pas... un sourire n'était pas le résultat escompté. Même pas le moindre petit grincement de dents, ou de signe d'agacement... c'est limite vexant, mais étrangement ça lui fait plaisir.

"Vulfume apprécierait encore moins qu'un des siens se laisse marcher sur les pieds sans relever..."

Elle hésite... Ca parait un peu trop simpliste, de la suivre comme ça. Mais elle a faim, grandement besoin de retrouver la proximité réconfortante et apaisante d'un feu, et elle n'a pas envie de rester derrière avec... l'autre.
Elle peut bien laisser sa fierté de côté, pour cette fois.

" Les couloirs m'attendront bien un peu... "

De toute façon, on n'explore pas le ventre creux et trempée comme une catin dégoulinante d'Aqua...

Ara était arrivé, la Noireaude l'avait bien senti. Et pour cela elle n'avait pas cherché à entrer en opposition avec la femme. La guerrière aurait voulu chasser autre chose que des rats ce soir, mais la rôdeuse... la rôdeuse elle n'aurait sans doute pas laissé faire. Et les colères d'Ara était à redouté... Pour toutes ces raisons la Noireaude avait préféré continuer à caresser le pelage rêche sur rat qu'elle tenait entre ses mains.
Ce n'est que lorsqu'il fut question de manger que la chose commença à se mouvoir.
L'ombre s'avança vers la porte et se dirigea vers la cuisine. Manger, manger... plus rien n'importait... C'est d'ailleurs la seule chose que désormais elle grommelait...

"- Faim... faim... très faim n'est-ce pas?... oui oui, faim..."