L’homme grimpe lentement le long du chemin étroit, grognant à l’occasion quand une pierre se dérobe sous ses pieds ou qu’une bourrasque plus fourbe que les autres le fait trébucher. Il aurait aimé une cape et une tunique dignes de ces noms… Pas cette passoire à courant d’air et à pluie, ni ce bout de chiffons trop petit pour fermer correctement sur son torse. Mais c’est toujours mieux que les loques qu’il avait avant, et on ne choisit pas les mensurations des aventuriers idiots qui viennent explorer la grotte où on s’est retiré depuis des semaines... C’est bien dommage d’ailleurs, il n’aurait pas cette mine débraillée…
Enfin, il ira chez le tailleur plus tard. Il a mieux à faire pour le moment, il atteint enfin les portes de la forteresse.

« Comme c’est charmant… on se croirait chez papa… »

Il pousse un soupir de contentement et observe la façade encore quelques instants, perdu dans quelque souvenir d’enfance. Elle apprécierait certainement, elle aussi… si elle était là.
Il a vraiment bien choisi.

Son regard finit de se perdre au pied de la muraille. Il reste fixé quelques secondes sur l’eau saumâtre des douves, le temps d’émerger de sa rêverie et de comprendre, puis remonte sur le pont levis… fermé.

Un sifflement agacé s’échappe entre ses dents serrées. Il a pourtant pris la peine d’envoyer un messager quand il était encore à se décrasser à l’auberge, pour prévenir…
C’est très contrariant… La nuit tombe, et il n’a pas l’intention de redormir dehors.
Tant pis… il n’aime pas crier, mais cette fois ça semble nécessaire. Il positionne ses mains en porte-voix en direction de l’édifice.

« Hohéééé ! Du château ? J’ai réservé une crypte toutes options pour durée indéterminée, vous avez dû recevoir l’acte de réservation il y a quelques jours, par rat-voyageur. »

Oui, rat voyageur. Parce que le nécromant ne fait pas confiance aux bestioles vivantes, trop facilement distraites… alors qu’avec un cerveau en compote, les missions confiées sont bien plus efficacement exécutées. Sauf qu’après quelques jours de décomposition, un piaf vole tout de même moins bien… donc rat-voyageur, ça reste une valeur sure et ça pullule dans n'importe quelle contrée.

Quoiqu’à voir le manque de réceptionniste sexy pour l’accueillir, le rat a aussi dû finir désossé quelque part…

Jeune homme ?

Le nécromant toise le nouvel arrivant. Ses doigts caressent distraitement l’orbe cachée sous sa cape pendant qu’il l’observe de la massue jusqu’au bout des oreilles. Enfant de Fimine ou pas, en cet instant l’envie de le tuer le démange… l’attente interminable sur un rocher battu par les vents l’a suffisamment agacé sans qu’en plus on vienne le prendre de haut.

Non, mauvaise idée. Fimine n’apprécie guère ces procédés… et l’insolent semble être le seul à même d’ouvrir cette damnée porte. Poli et courtois, il va ignorer ces indélicatesses quelques temps. Il a toujours su jouer la comédie, ça ne devrait pas poser de problème.
Il incline légèrement la tête pour saluer.

« Bonsoir à vous aussi…Drealath. J’ai cru comprendre que vous aviez quelques cryptes inutilisées qui pourraient servir à accueillir un nécromant exigeant… je me suis permis d’envoyer une missive pour annoncer mon arrivée et discuter des termes… »

Normalement, c’est là qu’il demande poliment à qui il a affaire, et s’excuse tout aussi poliment du dérangement. Mais il s’en passera.

« Et laissez cette massue tranquille. Ça ne vous va pas, et c’est très impoli… »

Il effleure de nouveau son orbe, préparant déjà le sort qui calmerait l'insolent s'il faisait mine de lever sa massue. Un léger sourire apparait sur ses lèvres.

"Ici et nulle part... mes petits amis ont laissé trainer leurs yeux et leurs oreilles un peu partout, de leur vivant...et sont très bavards quand je les ramène."

Il se penche tranquillement vers le sol, tendant la main pour attraper quelque chose, et en remonte tout aussi tranquillement avec un rat à l'abdomen partiellement éventré dans la paume. Il tend la main en direction de l'elfe pour lui montrer, un sourire insolemment affiché, et le ramène sur son épaule pour l'y déposer et le caresser distraitement.

"Ils m'ont dit que, malgré tout ce temps qui s'écoule, vous n'avez toujours pas trouvé ce que vous cherchez... ils m'ont dit aussi que la forteresse regorge de salles inoccupées...
Ma fidélité va à Fimine... je ne prétendrais pas me sentir destiné à servir votre Kilinaë. J'ai besoin d'un toit digne de ce nom et de compagnons pour tromper mon ennui, vous avez celà. Vous avez besoin d'yeux et d'oreilles pour chercher votre phénix, j'en ai deux paires parfaitement opérationnelles qui accompagnent une nécromancie valant bien largement ce bout de bois que vous ne voulez pas lacher.

Echange de bons procédés. Je suis certain que tout le monde peut y trouver son compte..."

Il sourit, content de son petit effet. Il a réussi à mettre l’elfe insolent mal à l’aise, et les portes s’ouvrent enfin. Ça compenserait presque l’impossibilité de le clouer sur une porte par les oreilles. Presque…
Soit, il se contentera de l’imaginer, il trouvera bien un autre jouet plus tard pour le remplacer.

Il laisse grimper le rat sur le dos de sa main, murmure quelques mots d’une voix inaudible et l’animal s’écroule, de nouveau sans vie. Sans même un regard, le nécromant se débarrasse de la carcasse en l’envoyant distraitement dans les douves d’un petit geste de la main. Il s’avance sur le pont levis à la suite du guerrier.

« Impatience partagée… Après vous, messire. »

L'elfe s'engouffra dans le bastion, suivi du nécromant qui marchait d'un pas silencieux. Stanislas se demandait encore où emmener le nouvel arrivant. D'ailleurs, il se questionnait également sur la raison pour laquelle il l'avait fait entrer. Jamais auparavant il n'aurait fait entrer une personne étrangère.

Au détour d'un couloir, ses doutes disparurent. Une silhouette se dessinait à quelques mètres. L'elfe reconnut aussitôt de qui il s'agissait. "Ni grande ni petite, elle disposait de muscles fuselés mais peu marqués par les muscles saillants caractéristiques des guerriers. Cheveux et yeux sombres, teint basané. Apparemment pas non plus une érudite qui passait son temps dans une bibliothèque ou sous une capuche. Agréable à regarder, elle ne disposait pourtant pas d'une beauté fracassante." (*) C'était sa commandante, sa cheffe suprême, Ara, qui errait elle aussi dans un couloir.

L'elfe s'approcha et d'un geste de la main, indiqua à Drealath, qui le suivait encore de son pas silencieux, de faire halte.

- Drealath. Voici celle qui nous dirige ici... Ara. Incline toi, et soit convaincant. Sinon, il se peut que tu rejoignes le rat que tu as jeté dans les douves...

(*) Cf. propos d'Eleidon.

En effet, Ara errait dans les couloirs. Non pas sans but. Elle avait prévu de rendre visite à sa Tatie avec une nouvelle formule amaigrissante qu’elle venait de trouver dans un des grimoires de la bibliothèque.

Ceci, bien évidemment, avant de tomber par le plus grand des hasards sur Stanislas. Il ne s’agissait pas cette fois d’une simple rencontre éphémère où chacun continuait sa route tout en saluant l‘autre au passage. Celui-ci semblait demander l’attention de la Générale.
Voila qui chamboulait tous ses plans. Les fesses d'Atalante attendront un peu…

Elle fixa le jeune elfe qui ne tarda pas à prendre la parole pour lui annoncer qu’il n’était pas seul. Drealath était le nom de l’inconnu.

Intriguée, elle s’approcha davantage comme pour se mettre un peu plus en avant. Pas évident avec l’obscurité du manoir…

« Tu nous ramènes un de tes amis Stan' ? »

Il lève un sourcil amusé quand il voit la main se lever pour lui intimer de s’arrêter, comme on l’ordonnerait à un laqué, et plus encore quand il recommence à parler. Étrange et amusante petite créature insolente. Quel dommage qu’il vive sous ce toit, il ne pourra pas jouer avec si sa demande est acceptée…

Il abandonne l’elfe pour observer la femme qui s’avance. Obscurité ou pas, le nécromant laisse courir son regard sur sa silhouette, y allumant une lueur de plus en plus appréciatrice à mesure que son examen se déroule.
Il soupire mentalement. Il s’est promis de ne jouer avec aucun d’entre eux, d’aucune manière que ce soit… Si tous les occupants sont ainsi, son séjour dans ces murs se transformera en exquise torture de tous les instants.
Il frémit à cette idée si plaisante et s’approche pour dépasser l’elfe et se présenter, aussi calme et décontracté qu’il l’a été depuis son arrivée devant les remparts.

« Amis… pas exactement… il semblerait que nos habitudes personnelles nous agacent mutuellement. »

Il esquisse un sourire.

« Mais il semble me supporter, ou m’estimer suffisamment digne d’intérêt, pour me laisser le suivre entre vos murs et vous rencontrer. Pour mon plus grand plaisir, ma dame. »

Il incline légèrement le buste pour la saluer, peut être pas comme l’elfe l’avait intimé, son ton sous-entendait une révérence plus humble et soumise, mais comme on lui a appris et qu’il sied au salut d’une dame.

« Quant aux raisons de ma présence… »

Il réfléchit quelques instants, cherchant l’une des façons les plus avenantes de présenter la chose sans y passer des heures.

« Hum… Disons que je viens demander l’autorisation d’utiliser une de vos cryptes comme logement.
Mais je suppose que la version la plus courante pour ce genre de requête doit être "je souhaiterai rejoindre vos rangs, générale"… »

Très résumé… elle posera des questions si elle l’estime nécessaire.

« Et… ? » Répondit-elle.

Des présentations… Mouais. Mis à part un nom qu’il n’avait pas donné de lui-même, elle ne savait rien de lui.
Et c’était sans compter son regard curieux et insistant qu’il avait posé sur elle… Aux limites de l’impolitesse.
Pourtant, sa façon de s’exprimer montrait qu’il n’avait rien d’un « mal éduqué ». Soit… Pas besoin d’être devin pour se rendre compte qu’elle avait en face d’elle un adepte de la magie noire.
Bref, passons… Ce n’était pas ce qui la dérangeait le plus.

Et à son tour, elle prit la parole. Au moins, elle connaissait ses intentions…

« Continues… »

Elle semblait attendre quelque chose d’autre de l’inconnu. Ara était une femme vénale, ce n’était un secret pour personne.

« Je t’arrête tout de suite si tu penses habiter notre crypte sans rien offrir en échange.
Nous n’offrons pas l’hospitalité à tous les gueux qui viennent en faire la demande. D’ailleurs je te conseille le Souffle d’Eolia, ils accueillent n’importe quel clochard sans condition… Si tel est ton cas. »

Elle marqua une courte pause avant de reprendre.

« Alors... Que proposes-tu ? »

"Tssss! Vous êtes bien aimable, mais j'ai déjà jeté un oeil. Le vin et la nourriture sont immondes, et les draps plein de puces. Sans compter que les serveuses sont hideuses. Par Fimine, personne ne voudrait de ça ! "

Et l'elfe qui ricanne... Il aurait pu s'ennerver, mais ça n'est pas son genre. Autant l'ignorer, chaque chose en son temps.

"Qu'est ce que je propose?"

Il fait semblant de réfléchir quelques instants.

"Une personne de moins pour vous mettre des batons dans les roues, une personne de plus pour chercher votre oeuf de phénix... Je suis certain que vous seriez bien ennuyés de le retrouver en omelette... Si vous comptez me demander "pourquoi" accepter, demandez vous "pourquoi pas"....

Je n'aime pas tomber dans la sensibilité ou le mélodramatisme, ce que je suis et mon histoire ne vous seraient d'aucune utilité aujourd'hui... mais si vous avez besoin que je vous prenne pour des demeurés, je peux vous ressortir les éternels "J'ai le mal en moi, je veux le répandre à vos cotés, bla bla bla...""

Il accompagne le "bla bla bla" d'un geste blasé de la main.

"Ca ne serait pas spécialement faux, mais d'un tel commun que c'en devient ennuyeux et à la limite d'être insultant, tant pour vous que pour moi."

Il braque son regard sur l'elfe, et lui adresse un sourire narquois.

"Je peux aussi proposer de ne pas envoyer une armée de mes adorables rats ronger les insolentes et disgracieuses longues oreilles de votre petite amie elfique ici présente."

Il repose son regard sur Ara.

"Mais vous risqueriez de mal le prendre, donc je ne le proposerai pas."

Des rires moqueurs dans son dos. Et l’autre qui lui renvoie la balle. Il était certain que ces deux la s’appréciaient déjà.

Elle avait écouté attentivement les paroles de Drealtah et avait préféré de loin la version du « plus un ». Peut être le sous estimait-elle un peu trop en pensant ne rien craindre de lui.

Détaillant l’homme du regard comme pour analyser la marchandise, elle reprit à son tour.

« Très bien.
Dans ce cas, il se pourrait bien que notre crypte puisse t’accueillir. »

Un toit contre ses services. Rien de plus normal. C’était ce qu’elle avait proposé à chacune des personnes qui s’étaient présentées ici dans le but de les rejoindre.
Si elle semblait accepter ce genre de contrat avec facilité, il n’en était pas moins. Comme à son habitude, elle épierait les faits et gestes du nouvel arrivant et si celui-ci ne comblait pas certaines attentes, il s’en irait rejoindre le tréfonds du manoir…

D’un pas latéral, elle se décala de telle sorte à remettre Stanislas en face de lui.

« Maintenant, si les conditions pour rejoindre nos rangs semblent être réunies. Je laisse Stan décider de lui-même s’il veut d’un nouveau compagnon "à ses couleurs". Il te montrera aussi le chemin de la crypte s’il le souhaite »

Il ne restait plus qu’à espérer que l’elfe ait apprécié les moqueries à son égard.

« Quant à moi, je dois malheureusement vous laisser. Des affaires importantes m’attendent. 
Bienvenu… Ou pas, Drealath »

Un léger salue avant de s’enfoncer dans l’obscurité du couloir... et disparaître.

L'elfe salua le départ d'Ara d'un geste discret de la main, et attendit qu'elle ait entièrement disparue pour revenir à Drealath...

- Ainsi, la générale m'a laissé la décision finale quant à ton adhésion parmi nous. Pesons le pour et le contre... Où placer ton air arrogant et tes réflexions provocantes ? Ara n'a pas eu l'air perturbée par toute ta mise en scène, et elle n'a pas montré d'opposition flagrante à ce que tu ne deviennes l'un des nôtres. Hmmmm... Considère toi comme une Ombre, désormais, Drealath. Bien que certains aspects de ta personnalité m'exaspèrent au plus haut point, je ne peux nier le fait que ce n'est pas sans rompre une certaine monotonie qui commençait à prendre place que d'avoir une nouvelle tête au caractère bien trempé qui nous rejoint.

Stanislas fit une pause, repensant aux mots qu'il venait de prononcer...

- Enfin. Ne compte pas sur moi pour jouer le rôle du guide touristique de notre bastion, il me semble qu'un grand garçon comme toi saura aisément prendre ses marques seul... Et si malgré cela tu venais à te perdre, n'hésite pas à demander ton chemin à l'un des nôtres... ... On ne mord pas.

HRP : Tu peux aller postuler, potiche d'amour \o/